En aveyron, l'abbatiale de Sainte Foy de Conques a un charme austère. C'est dépouillé, sans couleurs, très pierre-nature, très mode, donc (la basilique de Vezelay, c'est pareil avec les vitraux blancs-gris du sieur Soulages qui renforcent cet effet de zenitude).
Mais en l'an 1040 et des brouettes c'était un vrai disneyland moyen-âgeux (sauf votre respect) avec des attractions éblouissantes que les pélerins venaient admirer en foule. Ils y venaient adorer et implorer les reliques de Sainte Foy avant de reprendre le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Pour attirer un max de pélerins et recevoir leurs offrandes, les moines de Conques en ont bavé pendant des années avant de pouvoir soustraire furtivement ces reliques précieuses à de lointains concurrents pour en faire l'attraction principale de l'abbatiale. Succès total une fois ces reliques en place, la preuve = le culte de Sainte Foy s'est bien exporté, jusque dans le Nouveau Monde, d'où Santa Fe, et au pied de la statue en majesté dans l'abbatiale, il y avait tellement de monde prosterné que Bernard d'Angers, un people de l'époque, nous raconte qu'il n'a même pas pu s'y agenouiller.
Les reliques ont été enfermées dans une statue d'or pur, genre Byzance, étincelante, couverte de pierres précieuses et de camées romains, naturalisée rouergate, rebaptisée "statue de Sainte Foy" . Avec ses reliques dedans, elle n'a jamais bougé de Conques, preuve que Sainte Foy aimait bien ces moines James-Bondesques qui avaient gagné la guerre des reliques, sinon, par un miracle bien senti, elle les aurait pulvérisés.
Imaginez = vous êtes un pélerin d' une trentaine d'années (l'espérance de vie ne vole pas bien haut à l'époque) vous avez marché comme un dératé sur le chemin de Saint-Jacques, vous avez soif, faim, vous comptez vos ampoules et vos douleurs, et vous arrivez devant l'abbatiale = autour du parvis, les marchands au coude à coude ont étalé les friandises, pâtés, saucisses, gateaux, fruits, piquette et j'en passe... les apothicaires, les herboristes, proposent leurs remèdes, herbes et poudres de perlimpinpin pour adoucir vos scrofules, boutons, dents cariées, genoux défaits, pieds meurtris... quelques donzelles vous lancent des oeillades, vous trouverez aussi des bâtons, des estampes et images pieuses, chapeaux, chaussettes et sabots. Chacun vante sa marchandise en criant plus fort que son voisin au milieu de la foule des pélerins. Bref, c'est le souk. Heureusement que la grande fontaine au pied de l'abbatiale vous offre son eau bien fraîche.
Vous entrez dans l'abbatiale, une odeur d'encens vient vous chatouiller les narines, des chants de mâles organes surprennent vos oreilles, les cierges allumés font trembler les fresques colorées sur les murs - Il y a foule = dans le déambulatoire, dans les tribunes en haut, dans les chapelles, dans le choeur. Les moines chantent, les pélerins déambulent, se prosternent, s'agenouillent, prient, ou dorment et se lamentent. La fumée des cierges et des encensoirs qu'on balance brouille un peu tout ça, mais vous apercevez quand même les chapiteaux tout colorés aussi, qui racontent encore plein d' histoires à déchiffrer. Vous n'en avez jamais tant vu. Et encore, vous reste à voir la principale attraction du lieu, la statue reliquaire de Sainte Foy, toute-en-or, qui vous fixera de ses yeux d'émail, si vous arrivez à l'approcher.
Après avoir bien calmé votre estomac et un peu votre abcès dentaire, vous en avez pris plein les yeux, plein le nez, plein les oreilles et votre cerveau marche plein gaz = pour prier, admirer, partager, déchiffrer, chanter....
Aujourd'hui, les peintures millénaires (ou presque) ont disparu en laissant juste quelques petites traces, c'est quasi vide, sauf les touristes silencieux qui marchent sur la pointe de leurs baskets. Tranquille et sans couleurs. Mais aussi, c'est si beau, la spiritualité s'est incrustée dans ces pierres, la statue d'or pur a toujours un charme troublant, les figures du tympan et des chapiteaux nous racontent toujours leurs histoires.